Tantra
Quand un chemin sacré devient un terrain de jeu pour la manipulation
VALEURS
Mark
10/28/20258 min read


TANTRA : un mot sacré devenu une étiquette vide
Mon regard sur les dérives contemporaines d’une pratique ancestrale
« Tantra » — un mot devenu tendance.
Murmuré dans les studios de yoga, psalmodié dans les retraites spirituelles, présenté comme une porte vers la sexualité divine.
Mais aujourd’hui, dans bien des contextes contemporains — notamment au sein des communautés queer et alternatives occidentales — le Tantra a perdu sa profondeur sacrée.
Trop souvent, il est devenu une étiquette séduisante, un vernis spirituel recouvrant manipulation, projection et abus de pouvoir.
Autrefois voie d’union entre corps et esprit, le Tantra est parfois réduit à une performance sensuelle, un jeu d’ego, voire un produit marketing.
« Le Tantra a été vidé de son âme, transformé en un outil de désir plutôt qu’en une voie de conscience. »
🕉️ Le sens originel — et le fantasme occidental
Le Tantra authentique ne se concentre pas sur le sexe.
C’est un système spirituel ancien, profond et rigoureux : méditation, respiration, rituel, réflexion philosophique.
Son but ? Transcender l’illusion, non la nourrir.
Dans sa version moderne — le néo-tantra — la pratique a été largement érotisée.
Les “ateliers tantriques” contemporains utilisent souvent ce mot pour désigner massages sensuels, nudité et exploration sexuelle.
Rien de mal à cela, tant qu’on ne prétend pas que ce soit du Tantra.
Car en l’érotisant, on nourrit un fantasme : celui d’une sexualité sacrée sans exigence de conscience ni d’éthique.
« Lorsque le Tantra devient performance, le corps cesse d’être un temple : il devient une scène. »
Mais il ne faut pas omettre que ces ateliers néo-tantriques se présentent souvent comme des promesses d’éveil spirituel.
Ils parlent de “reconnexion au divin par la voie du plaisir” ou de “libération du corps comme porte d’accès à la conscience”1.
En réalité, ces propositions commencent fréquemment par des mises en vulnérabilité : respirations forcées, hyperventilation qui provoque une pseudo-transe, états d’extase simulés, jeux de regard et de toucher où l’on confond ouverture et exposition.
Ce mélange de sensualité et de spiritualité crée une intensité émotionnelle séduisante — mais rarement stable2.
Nombre de ces approches jouent sur l’effet de choc : une pratique inspirée de passages du Vijñāna Bhairava Tantra, texte fondamental du shivaïsme non-duel du Cachemire3.
Ce texte décrit 112 voies d’accès à la conscience, dont certaines passent par l’observation attentive d’un moment de rupture : une frayeur, un sursaut, une suspension du souffle, un éclair de plaisir ou de douleur.
Mais ces “chocs” y sont accueillis lorsqu’ils surviennent naturellement dans la vie, comme occasions d’éveil spontanées — jamais provoqués artificiellement pour créer une montée d’énergie ou un effet spectaculaire4.
Dans le Tantrāloka d’Abhinavagupta, maître du Xe siècle, cette subtilité est claire : la voie tantrique consiste à reconnaître la conscience déjà présente au cœur de toute expérience, pas à la forcer ni à la simuler5.
Le néo-tantra contemporain, influencé notamment par Osho6, inverse souvent cette logique.
Là où le shivaïsme cachemirien invite à contempler l’expérience jusqu’à dissoudre la dualité, le néo-tantra la met en scène pour en reproduire les effets.
L’éveil devient une performance ; la pratique, une émotion ; et l’émotion, un produit.
On promet un “niveau supérieur” de conscience, accessible au prochain stage — payant, bien sûr.
Ce glissement est bien documenté par les chercheurs contemporains7.
Cette logique d’accumulation — plus d’ateliers, plus de sensations, plus de stages — s’oppose radicalement à la lenteur et à la sobriété du Tantra originel, fondé sur la discipline intérieure, la contemplation, et la reconnaissance silencieuse de ce qui est.
Ainsi, ce que le néo-tantra appelle “éveil” semble parfois relever davantage d’une recherche d’intensité que d’une expansion réelle de la conscience.
Et là où le Tantra traditionnel cherchait à dissoudre l’ego, le néo-tantra tend parfois à le couronner de spiritualité.
⚠️ Quand le langage spirituel masque la manipulation
L’usage détourné du Tantra devient dangereux lorsqu’il sert à contourner les limites personnelles ou à légitimer une forme d’exploitation subtile.
Cette exploitation prend souvent la forme d’un encadrement “douceur et partage”, sous prétexte d’intimité ou de vulnérabilité. Elle crée en réalité des leviers psychologiques qui alimentent le besoin de revenir à la prochaine promesse, au “niveau supérieur” ou au stage suivant.
On donne ainsi l’impression que la spiritualité est quelque chose à apprendre progressivement, secrètement, réservée à ceux qui participent à ces cycles d’ateliers, alors même que son essence est largement accessible.
Les textes fondateurs — Upanishads, Sutras de Patanjali, Bhagavad Gita, ainsi que les Tantras du Cachemire tels que le Tantrāloka ou le Vijñāna Bhairava Tantra — sont souvent publics et libres de droit, offrant une voie claire vers la conscience et l’éveil sans nécessité de se plier à des mécanismes de rareté artificielle.
« Il est facile de confondre vulnérabilité et confiance lorsque l’autorité porte un masque spirituel. »
Lorsqu’un guide se présente comme détenteur d’une vérité sacrée, la vulnérabilité des participant·e·s — exposé·e·s dans leur corps ou leurs émotions — peut être interprétée à tort comme confiance.
En réalité, cette perception résulte souvent de l’influence du cadre et de la hiérarchie implicite, et non d’un choix libre et éclairé.
La véritable pratique spirituelle repose toujours sur le consentement et la souveraineté individuelle, pas sur l’autorité mystifiée.
🔥 Le sacré rencontre la sensualité : une réflexion nécessaire
La sexualité est au cœur de la vie — sacrée, sauvage, belle et maladroite.
Je crois en la sexualité divine, mais aussi en sa part animale, désordonnée, imparfaite. Le Tantra véritable est une philosophie du sacré, une manière d’habiter la vie dans sa totalité. La dimension sexuelle peut y avoir place, mais seulement lorsqu’elle émane d’un engagement profond envers la conscience.
Réfléchir à ces aspects, partager ses ressentis et expériences avec d’autres peut être une voie riche de réflexion et d’apprentissage.
Mais cet espace ne peut pas intégrer des pratiques physiques de sexualité dans le cadre de stages sous couvert de spiritualité : ce serait une contradiction avec le chemin spirituel tel que le Tantra l’envisage. Ces stages ne doivent pas devenir un moyen d’accéder à l’intimité physique ou à la performance sexuelle au nom du “travail spirituel”.
L’éveil n’est en rien sexuel en soi. Il ne se mesure pas à travers l’orgasme, l’échange des corps ou les techniques. Le Tantra n’est pas un atelier de sexualité sous une marque spirituelle, mais une voie de transformation de la conscience — où la sexualité peut avoir sa place, dans un contexte intérieur et personnel, non comme spectacle, non comme service à vendre.
Des analyses critiques montrent que dans bien des ateliers contemporains, on assiste à une confusion entre spiritualité et sexualité à fin commerciale ou émotionnelle :
“The public perception of Tantra as primarily concerned with sex […] is manifestly untrue. Next to none of the scriptural sources of (Classical) Tantra teach a sexual ritual or sexual technique of any kind.”1
« Unqualified Facilitators … Overemphasis on Sex: Heavy focus on sexual techniques, nudity, or quick intimacy without deep spiritual context or rigorous consent protocols. Authentic Tantra uses sexuality (if at all) reverently, aiming for transformation, not just pleasure. »2
🏳️🌈 Le contexte queer : quand le désir rencontre le sacré
Pour de nombreuses personnes queer, le Tantra représente une voie de réconciliation avec le corps, une manière de vivre la sensualité sans honte.
Cette quête est légitime et nécessaire.
Mais nos communautés portent aussi leurs blessures : rejet, solitude, traumatismes liés à l’intimité.
Et lorsque ces blessures rencontrent une pratique spirituelle mal encadrée, le Tantra peut devenir un miroir trompeur.
Les confusions sont fréquentes :
entre charge érotique et illumination
entre connexion spirituelle et consentement
Certain·e·s guides — parfois inconsciemment — exploitent ce besoin de lien, fragilisant la frontière entre guérison et souffrance.
« Notre soif d’amour peut nous rendre aveugles à la manipulation déguisée en libération. »
🌀 Fantasme, pouvoir et séduction occulte
Le mot Tantra évoque mystère, exotisme et interdits. Cette aura attire — mais aussi alimente un imaginaire dangereux.
Beaucoup de soi-disant guides tantriques utilisent cette mystique pour se placer en position de pouvoir, mêlant langage pseudo-spirituel et érotisme ritualisé.
Ce mélange est enivrant — et dangereux.
À Fantasy Farm, nous croyons qu’un cadre clair est essentiel :
« Chaque activité se déroule dans la transparence et le respect, où l’échange et l’apprentissage sont partagés sans mystère. »
Quand ce cadre fait défaut, le Tantra cesse d’être un chemin de conscience et devient une performance.
Il manipule les archétypes du désir au lieu de dissoudre les illusions.
« Le vrai Tantra dissout l’illusion. Le faux Tantra la nourrit. »
🌿 Reconquérir l’intégrité et la conscience
Pour rendre au Tantra sa justesse, il faut revenir à son essence spirituelle : conscience, discipline, union.
Pas contrôle, ni complaisance.
Les principes d’une pratique éthique
Un Tantra authentique repose sur :
🕊️ Le consentement libre, éclairé et continu
🤝 L’égalité entre participant·e·s et facilitateur·rice·s
🌱 La responsabilité personnelle et la clarté des intentions
Les animateur·rice·s ne sont pas des gourous ;
les participant·e·s ne sont pas des disciples : chacun·e demeure souverain·e.
À Fantasy Farm, nous proposons des approches qui permettent
« d’aborder la sexualité masculine sous un angle naturel, doux et progressif. »
C’est cette douceur, cette structure, et cette transparence qui transforment le Tantra de la performance vers la pratique.
💫 Une philosophie qui demande du temps, pas une performance
À Fantasy Farm, nous croyons que la véritable compréhension du Tantra ne peut pas s’improviser en un atelier de quelques heures.
La philosophie tantrique est une voie de transformation intérieure, une démarche profondément personnelle qui demande du temps, du silence et une rencontre sincère avec soi-même.
C’est pourquoi nous privilégions les séjours immersifs, au cours desquels chaque personne peut explorer ces dimensions à son rythme.
Ces retraites offrent un espace propice pour aborder la philosophie du Tantra dans sa profondeur, loin des injonctions de performance ou des projections érotiques.
Plutôt que de proposer des “ateliers de pratiques tantriques” souvent hors contexte, nous invitons à une réflexion spirituelle sur mesure, adaptée à la sensibilité et au cheminement de chacun·e.
Le Tantra n’y est pas enseigné comme une technique, mais comme une expérience vivante de conscience, qui se tisse au fil des jours, à travers la nature, le partage, le silence et la présence.
🌸 Conclusion : de l’illusion à la présence
Le Tantra porte un potentiel immense de guérison, d’unité et d’amour, mais seulement s’il est vécu avec humilité et vérité.
S’il sert à masquer l’ego, les fantasmes ou le pouvoir, il trahit son essence.
L’invitation est simple :
Pour que le Tantra redevienne sacré, il faut d’abord le rendre honnête.
« Le sacré ne peut exister sans transparence. »
Cet article est une invitation à la réflexion, à la responsabilité spirituelle, et à une sensualité consciente.
À Fantasy Farm, nous croyons qu’un espace authentique naît de la transparence, du respect et de l’humilité.
🌿 Découvre nos prochains séjours et stages, et rejoins une communauté qui fait de la clarté, de la sécurité et de la conscience les fondements de toute exploration.
📌 Notes / Références
“Is Tantra about sex or divine liberation?” phys.org, 2024 (lien) ↩ ↩2
“Modern Tantra Retreats: Benefits, Practices & Choosing Wisely,” Compassion Retreats (lien) ↩ ↩2
Swami Lakshmanjoo, Vijñāna Bhairava Tantra, 1999 (niranjanayoga.com) ↩
Hugh B. Urban, “The ‘Power of Tantra’ in the West: Spirituality and the Market of Desire,” Religion and American Culture, 2003 (academic.oup.com) ↩
Abhinavagupta, Tantrāloka, traduction et commentaires par Jaideva Singh, Xe siècle ↩
Urban, H.B., cf. note [ ↩